Les droits de douane américains pour les produits suisses entrent en vigueur aujourd’hui, jeudi 7 août. Ils sont maintenus à 39%. Pour l’économie neuchâteloise dont la part d’exportations à destination des USA se monte à 37%, le choc est extrêmement violent. David Guenin, Président de la CNCI, et Damien Cottier, Président de l’UNAM, membre du Conseil d’administration de la CNCI et Conseiller national, répondent à nos questions.
Damien Cottier, Président de l’UNAM, Conseiller national: « Le Conseil fédéral doit rester opiniâtre, poursuivre la diversification des accords de libre-échange et booster la compétitivité de l’économie suisse »
Quelle est votre réaction par rapport aux dernières communications sur le dossier des droits de douane avec les USA ?
Elle est double: choc et détermination. Un choc d’abord car les droits de douane annoncés par le président Trump – qui vont totalement à l’encontre de ce que ses propres ministres, qu’il a désignés pour cela, ont négocié de bonne foi avec le Conseil fédéral ce printemps – sont injustifiés, extrêmement élevés et pénalisent gravement la Suisse et son industrie et la discriminent par rapport à d’autres pays sans qu’on puisse trouver la moindre logique dans ces différences. Des pays ou régions avec lesquels les USA ont un déficit commercial encore plus élevé, comme p.ex. Taïwan ou la Thaïlande, ont des taux beaucoup plus bas!
La seconde réaction, c’est la détermination. On l’a vu dans d’autres dossiers, les positions du président Trump peuvent changer rapidement et du tout au tout. Il faut continuer de négocier et de plaider notre dossier, qui est bon, chercher des amis qui nous appuient et trouver un « game-changer » qui permette de changer la position sans perdre la face. Il faut travailler assidûment à cela: ces droits de douane sont un énorme problème, mais pas une fatalité. Il faut se battre et serrer les rangs entre politique et économie! Et il faut agir sur le plan intérieur.
Quelle est votre appréciation du traitement du Conseil fédéral du dossier sur les droits de douane avec les USA ?
Franchement… il a fait un bon travail! La Suisse a fait partie des premiers à réagir et à négocier en avril (« early movers »). Elle a négocié de bonne foi. Une solution très satisfaisante a été trouvée d’un commun accord avec les 3 ministres américains en charge du dossier. Il ne manquait que la signature du président… Et celui-ci, probablement hélas dans un mauvais jour, a déchiré le projet en se focalisant uniquement – et de manière caricaturale – sur le seul déficit de la balance commerciale déficitaire pour les USA à hauteur d’environ 40 milliards de dollars. Un élément dont on sait par ailleurs qu’il n’est pas un problème en soi, qu’il est faussé par le commerce de l’or (nécessaire pour les USA) et qu’il est en réalité équilibré si on tient compte également des services et pas seulement des biens!
Que doit faire maintenant le Conseil fédéral? Quelle marge de manœuvre a-t-il encore ?
Le Conseil fédéral doit maintenant faire trois choses:
- Rester opiniâtre: il faut redoubler d’efforts envers les USA, en utilisant tous les canaux – aussi le canal parlementaire – pour plaider notre cause directement auprès du président. Nous avons de très bons arguments et il faut les faire entendre. Et il faut un « game-changer » pour que le président américain puisse revendiquer une victoire en politique intérieure et justifier une évolution – vers le bas – de ces taxes.
- Poursuivre la diversification : Il faut aussi redoubler d’efforts pour accroître la panoplie des accords de libre-échange de la Suisse (avec ou sans l’AELE). Les accords avec l’Inde et l’Amérique du Sud (Chili, Mercosur) doivent entrer en vigueur rapidement (avec des mesures nationales de compensation dans le domaine agricole et viticole). Ceux avec la Chine, le Japon, le Mexique doivent être étendus et modernisés. Et il faut en négocier de nouveaux. Par ailleurs il est crucial de stabiliser notre relation avec notre partenaire n°1, l’UE. Pour cela il faudra impérativement que le peuple rejette l’initiative de résiliation de l’UDC (« 10 millions ») qui tuerait la voie bilatérale et il faudra développer et stabiliser nos Accords via les Bilatérales III.
- Booster la compétitivité par des mesures internes: Il faut assainir les finances fédérales, soutenir les entreprises par des mesures de crise (avec les instruments existants, aux besoins étendus p.ex. dans le domaine des RHT, voire des mesures fiscales) renoncer aux hausses fiscales ou déductions salariales envisagées (p.ex. les hausses massives de la TVA voulues par le Centre le la gauche dans le domaine de l’AVS qui plomberaient notre économie) et lancer un plan ambitieux de mesures fiscales et réglementaires destinées à booster la compétitivité de l’économie suisse afin de palier à ce lourd handicap sur le marché américain.
Vous êtes président de l’Union neuchâteloise des arts & métiers (UNAM), dont les membres sont essentiellement orientés sur le marché intérieur. Quelle est votre réaction en tant que président de cette association ?
La même que mentionnée plus haut: choc et détermination. L’économie suisse a toujours été forte en étant unie. Les PME et les Arts et Métiers vivent aussi de la bonne santé des grandes entreprises et inversement. Une industrie qui « boome » à l’exportation passe des commande, construit, investit, crée des emplois, finance les collectivités, utilise des services et prestations ici, a besoin de sous-traitants, ses employés vont au restaurant, font du shopping, construisent ou rénovent, achètent une nouvelle voiture, etc. Les Arts et Métiers ont tout intérêt à avoir un industrie florissante – et inversement.
Vous êtes aussi Président de l’association parlementaire Suisse-USA ? Quel levier pourriez-vous actionner ?
J’ai des contacts réguliers avec des Parlementaires américains. Cette association, fondée il y a une trentaine d’années suite à la crise des fonds en déshérence, cherche à maintenir un contact régulier avec le Congrès. C’est un peu un travail de Sisyphe permanent car la Suisse, toute importante qu’elle soit économiquement pour les USA (6e investisseur, 1er par habitant, 1er dans la R&D, créateur de 400’000 emplois, les mieux rémunérés des investisseurs étrangers, …) et politiquement (nombreuses activités diplomatiques, coopérations actives dans le domaine de la paix et de la sécurité, travail consulaire actif pour des citoyens américain p.ex. en Iran depuis 35 ans, …) n’est pas souvent dans le radar des politiques et des médias. Il faut constamment rappeler qui nous sommes, ce que nous apportons, l’intensité et l’ancienneté de notre amitié. Le but de l’association est de parler d’homologue à homologue pour maintenir vive cette connaissance et cette amitié.
Qu’allez-vous entreprendre personnellement dans cet épineux dossier ?
Dans le contexte actuel, il faut essayer d’activer tous les relais possibles pour influer sur la position de la Maison-Blanche, y compris par la branche parlementaire, même si jusqu’ici le Congrès s’est prudemment tenu éloigné de ce dossier en mains du seul président. La Suisse a besoin de tous ses amis dans cette situation. Il y a eu des visites en Suisse de membres du Congrès ce printemps. J’aurai des contacts ces tous prochains jours avec plus d’une vingtaine de membres du Congrès, en compagnie de quelques collègues du Parlement suisse. Et nous planifions un voyage de délégation à l’automne à Washington et en Caroline du Nord (région où l’économie et la R&D se développent vite). Nous ne pouvons pas négocier à la place du Conseil fédéral, mais nous pouvons essayer d’appuyer son message en le faisant passer auprès de nos pairs au Capitole et contribuer à un climat constructif et amical. Dans la situation actuelle j’ai l’intention de demander à mes homologues comment ils peuvent nous aider activement pour corriger une décision qui discrimine la Suisse injustement et qui nuit au développement de notre excellente relation et de notre (très) vieille amitié.
David Guenin, Président de la CNCI: « La Suisse se réveille avec une mauvaise gueule de bois »
Quelle est votre réaction par rapport aux dernières communications sur l’entrée en vigueur des droits de douane américains de 39%?
J’avais un maigre espoir quant aux chances de nos deux Conseillers fédéraux de faire « descendre » le taux de 39% avant le 7 août. Le fait qu’ils n’aient pas réussi à obtenir un entretien avec Monsieur Trump démontre que pour l’instant la Suisse n’a pas les arguments susceptibles de faire changer l’avis du Président des Etats-Unis et que ce dernier a d’autres priorités que la Suisse. De mon point de vue, ce déplacement à Washington est arrivé trop tard dans le processus de négociation.
Pour le Canton de Neuchâtel dont la part des exportations aux USA avoisine 37%, ces droits de douane de 39% sont insupportables. Ils poseront d’abord d’énormes problèmes aux société exportatrices et, par ricochet, aux entreprises axées sur le marché intérieur qui dépendent de la bonne santé des sociétés exportatrices.
Qu’attendez-vous maintenant des Autorités fédérales et cantonales?
Qu’elles ne baissent surtout pas les bras, car même si ce déplacement n’a pas porté ses fruits, ce n’est qu’une bataille de perdue, et non pas la guerre !
Le Conseil fédéral doit impérativement remettre l’ouvrage sur le métier et trouver les éléments qui permettront de rencontrer Monsieur Trump et de la convaincre à réduire ce taux. Il faut aussi être capable de faire des promesses d’investissements et d’achats au Président Trump, en espérant que la montre jouera en notre faveur et qu’entre la promesse et la réalisation, un changement ait lieu à la tête des USA.
Quels conseils donnez-vous aux entreprises neuchâteloises?
La situation est différente selon le secteur d’activité et le type de concurrence, mais l’enjeu commun à tous est de déterminer comment « absorber » ou « compenser » ces 39%, ou au minimum l’écart entre ces 39% et les taux plus bas appliqués pour les pays où se trouvent nos concurrents.
Avec l’entrée en vigueur du taux de 39%, les questions suivantes se posent. Les clients américains acceptent-ils ou sont-ils encore en mesure d’acheter des produits suisses devenus bien plus chers ? Les distributeurs et détaillants américains sont-ils prêts à diminuer leurs marges ? Les entreprises touchées ont-elles encore la capacité de baisser leurs prix de vente ? Si non, sont-elles alors poussées à des délocalisations pour réduire leurs coûts de fabrication ou pour moins se faire taxer ? Ces questions sont au cœur des réflexions stratégiques des entreprises faisant du commerce avec les USA. Trouver le bon mix est une gageure, tant l’équation comporte d’inconnues. De plus, il faut agir vite pour ne pas perdre trop rapidement des parts de marchés gagnées des années durant.
À court terme les entreprises touchées n’auront d’autres solutions que de recourir aux RHT pour réduire leur masse salariale, ce qui leur permettra de maintenir les emplois et les savoir-faire.
Je sais que c’est facile à dire, mais toute crise doit nous faire réfléchir. En l’occurrence nous devons nous rendre à l’évidence : nous sommes trop dépendants des USA ! Profitons de cette crise pour développer de nouveaux marchés, pour innover tant du point de vue des produits que de leur fabrication. Cela prend du temps et de l’énergie, mais on répartit mieux les risques.
Que va faire la CNCI au cours des prochains mois?
Lors de la crise covid, nous avons intensifié notre communication avec nos membres et les entreprises neuchâteloises. Nous allons à nouveau le faire dans le dossier des droits de douane américains et faire le relais entre les Autorités, les grandes associations économiques fédérales et nos membres.
Nous ferons du lobbying avec d’autres associations (cantonales et fédérales) auprès des Autorités pour continuer à les sensibiliser sur la situation et les préoccupations de nos membres. Il s’agira d’être concrets et d’esquisser des solutions dans la formulation de nos demandes. Il ne faut pas seulement faire état de la situation, mais avancer des propositions de solutions.
Nous serons constamment en contact avec le Service de l’économie et celui de l’emploi. Nous nous mobiliserons pour réduire au maximum les contraintes administratives.
Nous nous engagerons encore plus pour sensibiliser les entreprises neuchâteloises aux alternatives au marché américain : engagement dans la campagne pour les Bilatérales III, promotion d’autres marchés et organisation de mise en relations avec d’autres organismes (p.e. Switzerland Global Enterprise, autres Chambres du Commerce).
Autres liens
- Page actualisée « Droits de douane américains » sur le site de la CNCI
- Communication de l’usam du 4 août 2025
- Communication de l’usam du 1er août 2025